La fuite ne paie pas

Le vent du soir, comme d'accoutumée, s'infiltrait entre les lugubres murs de la cité, venant jusqu'à saluer de sa présence la salle principale du dispensaire seulement éclairée des quelques derniers rayons d'un soleil fatigué. Sous les rideaux de l'unique fenêtre, se soulevant par intermittence au gré de la brise, on pouvait trouver la pauvre femme gisant dans un état difficile à imaginer.


Tout son corps transpirait la douleur. La volonté délibérée de la laisser sans sédatifs la laissait seule et désarmée face à ses insupportables souffrances. Un semblant d'attelle lui maintenait vaguement le bras droit, dérisoire lorsque la moindre secousse vous fait souffrir le martyr. Quelques bandages éparses faisaient illusion quant à un éventuel traitement médical, véritables cache-misères parfois décrochés par un spasme de cette lancinente douleur. Seules ses plaies avaient été nettoyées à l'alcool, précautioneusement cette fois. Les versants du Mont Sérail résonnent encore des plaintes désespérées de la jeune femme.


A demi-inconsciente, Yunfa fixait le plafond. On lui avait proposer un choix. Un choix aussi simple que terrible : La mort immédiate, la Régulation comme ils disent, ou une rééducation profonde qui n'avait qu'une infime chance de réussite ... encore fallait il trouver un cobaye délibérement volontaire. Aucune des deux alternatives ne semblaient plus enviables. La mort du corps ou de l'esprit, voilà le choix démoniaque qui lui était proposé.


Ce qu'il restait de la jeune infirmière leva alors son bras gauche, tremblant et maladroit, pour attraper ce fichu cordon qui pendait nonchalament à côté de son lit. Priant une dernière fois pour son salut, elle le tira. Dans l'instant la jeune femme venait de déposer son âme sur l'autel de la vengeance, il restait encore une chance de venger Ken, voilà tout ce qui lui restait dans ce monde insupportable de souffrance.

La porte de l'infirmerie s'ouvrit doucement, laissant les yeux de la jeune femme à la merci de cet éblouissant soleil. Depuis combien de temps n'avait-elle vu la lumière du jour? Trop longtemps assurèment.

Quelques pas timides, le bras levé au niveau du front pour se protèger des rayons encore trop agressifs, Yunfa s'échappait quelques instants de l'horreur du Camp. La peur, l'angoisse, l'appréhension, tout un flot de sentiments terribles à l'égard de ce qui l'attendait dans un futur immédiat. Elle était désormais remise de ses blessures, donc apte à la Rééducation.

Soudain, la voix brute du Régulateur chargé de sa surveillance tonna dans l'air

"Kamarade Yunfa! L'inquisite de la Glorieuse PdP rèclame votre présence dans l'instant!"

"Bien, Kamarade, je vous suis.", répondit-elle sur un ton respecteux, empreint d'une crainte justifiée.

Traversant la cour principale, pénétrant dans l'un des sombres bâtiments flanqués de statues à l'éffigie de l'Omni-Tsarine, tournant et retournant sans fin dans les couloirs tortueux de la PdP, la voilà enfin face à la salle d'Inquisite. Derrière cette porte, franchie à l'injonction du Régulateur, le Paléo-Inquisiteur Llman Zerga accompagné de quelques sous-fiffres. Le battant claque dans son dos, la voilà seule face à cet impitoyable jury.

"Première question : Comment avez-vous pu vous soustraire à votre Paléo-Rééducation primaire?"

Terrible phrase prononcée sur un ton neutre mais néanmoins indisposant, sans le moindre préambule. La jeune femme s'était préparée à un interrogatoire brusque, cela ne l'empêchait pas pour autant de sentir son coeur battre frénétiquement dans sa poitrine.

"Grâce à la douleur, Paléo-Inquisiteur."

"Précisez."

"Je m'entaillais volontairement les avant-bras et autres parties dissimulables de mon corps pour échapper à l'attraction des stimulis sonores. Mon attention se portait alors vers mes blessures et non vers les informations hypnotiques qui me parvenaient."

"Intéressant. Continuez."

La jeune femme relevant alors les manches de son uniformes et dévoila les nombreuses cicatrices qui parcouraient ses bras.

"Je n'ai rien à ajouter, Paléo-Inquisiteur."

"Bien.

Deuxième question : Souhaitez vous de votre plein gré être le sujet d'expérience de notre nouvelle forme de Rééducation, ou préférez vous une Régulation Immédiate dans l'honneur et la Gloire du Parti?"

"La Rééducation, Paléo-Inquisiteur."

"Excellent. La volonté du cobaye est déterminante dans ce cas précis, si par le plus grand des hasards elle s'avérait chancelante ou réfractaire, c'est la destructuration cérébrale qui vous attend. Soyez en consciente. "

"J'en suis pleinement consciente, Paléo-Inquisiteur."

"Bien, emmenez la immédiatement en salle d'opération, nous n'avons pas de temps à perdre."